En direct de Delhi où elle met ses connaissances au service des plus défavorisés, Linda Bouifrou, chercheure et expertise en Coopération et solidarité Internationale, nous fait partager son analyse sur les nombreux viols très médiatisés commis à Delhi au sujet desquels l’opinion publique, excédée, se manifeste de plus en plus distinctement…
Crise urbaine : une jeune fillette des bidonvilles violée par un homme issu de l’exode rural.
Dans une ville où le sexe ratio est le plus faible de l’Inde, désormais connue sous l’appellation de "capitale du viol", la société civile se fait entendre contre les violences faites aux femmes.
Depuis trois jours des manifestations ont lieu dans différents lieux stratégiques de Delhi, à la fois pour dénoncer les crimes sexuels envers les femmes tout autant que pour alerter les élus et demander des mesures contre l’inefficacité voir la complaisance de la police. De même les journaux locaux et nationaux ne cessent de titrer à leur une, les récents cas de viols dans le pays et l’avancée de l’état de santé des victimes, dont la petite fillette de 5 ans violée dans le quartier de Gandhi Nagar à Delhi. Les journaux télévisés quant à eux, passent en boucle, la scène d’une gifle donnée par un officier de police à une jeune activiste.
Ce sont principalement des parties politiques qui prennent l’assaut des lieux de pouvoirs pour manifester leur colère. Mais aussi de nombreux citoyens anonymes, hommes, femmes, enfants, représentant la société civile, des ONG qui luttent pour le droit des enfants et des femmes et d’innombrables étudiants (rassemblés par la célèbre All Indian Students Association) se sont solidairement présentés aux portes des résidences officielles du premier ministre et de la chef du parti du Congrès ainsi qu’à l’Indian Gate, ce dimanche.
Les slogans sur pancartes et lancés à hautes voix sont des appels d’urgence sonnant le ras-le-bol de la rue : "Enough is enough !". D’autres dénoncent l’apathie de la police, son inertie et sa complicité indirecte. Sur les réseaux sociaux les positions sont plus tranchées. Hommes et femmes demandent la peine de mort pour les auteurs de viols. Certaines illustrations, plus explicites que d’autres, réclament le traitement définitif des coupables par ablation de leur organe sexuel.
Dans le numéro du jour du Times of India, le journaliste Santosh Desai décrypte en page 6, l’esprit de tension lorsque l’on parle de la peine de mort en Inde. Il souligne, cependant, que dans des cas pareils de traumatisme de la population par un tel fait divers, il n’y a plus débat mais une quasi-unanimité pour une sentence irrémédiable contre les coupables.
La jeune épouse du violeur de la petite fille de 5 ans, résidente dans un village du Bihar, demande elle-même à ce que son mari subisse la plus lourde peine. Elle représente ce type de femmes des villages, délaissées par leurs époux, succombant au mirage de la ville, promesses économiques argumentant leur départ.
Les manifestations, c’est aussi le procès de la police et du laxisme du personnel médical dans la prise en charge psychologique des victimes : Ce qui traumatise la population et qui est, à juste titre, dénoncé, c’est la complicité indirecte de la police. Dans cette affaire de viol de la petite fillette de 5 ans à Delhi, deux graves reproches sont fait à la police. Non seulement, les parents de la victime avouent qu’un policier a tenté d’acheter leur silence en échange d’une trentaine d’euros, soit 2/3 des revenus mensuels d’une famille pauvre des bidonvilles de Delhi et par ailleurs, un policier a été pris en flagrant délit d’abus de pouvoir en giflant une jeune activiste.
De même, le 15 mars dernier, une jeune fille a été kidnappée à Farsh Bazar en Uttar Pradesh, violée par un gang de 8 hommes. Sa mère a voulu poser plainte mais la police lui a conseillé d’éviter des poursuites inutiles et de marier sa fille au plus vite ! Le lendemain, la jeune fille a tenté de se suicider avec des somnifères. Hier soir, Pulimamidi Sridhar, une autre jeune victime âgée de 18 ans qui a été violée à Kohir town en Andra Pradesh, s’est suicidée. L’hôpital qui l’a prématurément fait sortir le jour même de son admission est poursuivi pour "non-assistance".
Pour Avnindra Pandey, le petit ami de la jeune fille violée et torturée dans un bus le 16 décembre dernier dont la barbarie de l’agression et la mort, avaient ému et rallié toute l’Inde à la cause des femmes, dit que pour lui rien ne semble avoir changé. Et ce, malgré les engagements politiques annoncés et les quelques mesures prises (page 4, the Asian Age New Delhi, 22 avril 2013).
Une population en colère mais qui risque de céder face à la répétition des cas.
Nilanjana S.Roy, souligne qu’aucune loi au monde n’a jamais pu empêcher le viol, autant qu’aucune autre loi ne peut empêcher le meurtre » (p.10, The Hindu, 22 avril 2013). L’article rappelle aussi que l’Inde sort de plusieurs décennies de déni de la violence contre les femmes. L’actuelle compassion du peuple, notamment via la prise de conscience des classes moyennes de ces situations de violences envers les femmes, pourrait arriver à épuisement face à l’escalade d’horreurs annoncées dans la presse. Ou, à défaut, un choix d’empathie pour telle ou telle situation de viol, sera fait par la population elle-même. Dans ce cas, l’auteur se demande lequel des trois plus courants types de viols fera l’objet de la plus grande compassion : les viols de femmes Dalits par des gangs quasi-organisés, celui des enfants, ou celui des femmes dans les grandes villes du pays ?
La chronologie des viols de Delhi sur le forum