C'est avec une grande curiosité que j'attendais la sortie française du second roman de Tarun J. Tejpal car le premier, Loin de Chandigarh, m'avait beaucoup parlé au point qu'il fasse maintenant partie de la liste très restreinte des quelques livres que j'ai toujours envie de relire. J'en avais gardé à l'esprit la maîtrise de son auteur pour une narration précise et sobre, empreinte d'une grande sensibilité qui m'avait touché en plein cœur. C'est donc avec l'avidité que vous imaginez que je me jetais à corps perdu dans la lecture de Histoire de mes assassins dont l'épaisseur devait, pensais-je avec délectation, m'assurer de délicieuses soirées lecture...
Roman inspiré de nombreux faits réels, comme la vie même de son auteur, éditeur de Tehelka, l'un des journaux les plus corrosifs de l'Inde moderne, il retrace l'intrigue d'un assassinat manqué visant son héros, et développe le parcours des cinq assassins chargés de le perpétrer. C'est l'occasion pour Tarun Tejpal de mettre un accent particulier sur ce qui fait le charme de l'Inde : ses politiciens corrompus, ses bandits de grands chemins tout aussi corrompus que les potentats qu'ils combattent, ses policiers serviles, la barbarie d'un système sans justice, la force des castes et ses nombreuses victimes impuissantes. Bref, tout ce qui pourrait donner à un grand masochiste l'envie de s'y installer avec toute sa famille. Il faut dire que l'auteur joue sur du velours. D'une part il a fort à dire après des années à traquer le politicien véreux mais aussi parce que, comme beaucoup d'intellectuels indiens, il sait profiter d'une nouvelle liberté, et d'une diffusion mondiale facilitée, pour toucher un auditoire toujours plus réceptif à l'étude critique d'un pays englué dans ses traditions.
Tarun Tejpal est donc plus que crédible dans ce rôle et il en profite avec un style qui une fois encore capte et envoûte même si la frontière entre le réel et l'imaginaire est très floue. En effet l'ambiguïté est omniprésente ; comme l'auteur nous le révélait lors d'une récente venue en France ; certaines choses sont vraies, d'autres non. Le mélange des genres laisse dubitatif ; pourquoi s'embarquer sur les voies du roman pour se mettre en scène de telle façon à travers un héros qui lui ressemble tant ? Pourquoi attirer l'attention sur les dangers qu'il court et la perversion d'une société en nous décrivant de manière aussi esthétique la genèse de cinq criminels de la plus belle espèce ? Quel est le calcul qui amène un très grand romancier à courir tant de lièvres à la fois ? Pense-t-il s'assurer contre les menaces en les partageant avec le plus grand nombre ou, plus prosaïquement, aurait-il l'ambition inavouée de jouer sur les plates-bandes du Tigre Blanc, grand succès récent d'Aravind Adiga publié chez le même éditeur ?
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En l'absence de certitude, je laisserai à chacun le soin d'en décider et ne garderai pour moi que les descriptions quasi cliniques de ces cinq personnages, purs produits d'une société où les comportements les plus primitifs côtoient la plus grande noblesse d'âme et qui transforment des êtres innocents à devenir aussi intensément mauvais que ceux qu'ils vont servir. J'y ai retrouvé là, l'ombre du grand Manto (sans jeu de mots) dont les nouvelles ciselées m'avaient beaucoup impressionné (Toba Tek Singh de Saadat Hasan Manto). Cinq parcours donc, qui nous emmènent sur les sentiers ensanglantés de la partition indienne, dans les plaines impitoyables du Pendjab rural ou encore dans les recoins les plus obscurs de la gare de Delhi, pour nous faire toucher du doigt ce que l'injustice, la misère et une société de pure violence peuvent produire de monstrueux.
La vision de la femme est aussi un peu caricaturale. On retrouve le profil de la femme moderne, pur produit d'un féminisme dans ce qu'il a de plus spectaculaire et l'on ne peut s'empêcher de faire un parallèle entre Sara, maîtresse et avocate du présent ouvrage, et Fizz, l'héroïne de tous les fantasmes Tejpalien de l'ouvrage précédent. Cette impression est renforcée par un mépris total du héro pour la docilité de cette épouse trompée et béatement satisfaite de n'en rien savoir.
En conclusion, voilà un livre plus ambitieux que le précédent et dans un registre très différent. Loin de Chandigarh est un livre écrit avec le cœur, celui-ci est écrit avec la tête. Tarun Tejpal à mis sa flamboyance stylistique au service des laissés pour compte et à ce titre c'est réussi. Si la construction de l'histoire est intéressante, il y a tout de même un déséquilibre sensible entre l'intrigue première et la richesse des personnages qui n'en sont finalement que des accessoires et qui, de facto; la relègue au second plan. J'attribue cela à une certaine confusion dans les objectifs de l'auteur et dans les moyens mis pour les atteindre. C'est dommage mais finalement sans conséquence notoire sur le plaisir de le lire du début jusqu'à la fin...
Pour en savoir plus
Minisite Buchet Chastel
Notre critique de Loin de Chandigarh
Notre critique du Tigre Blanc d'Aravind Adiga
Notre critique de Toba Tek Singh de Saadat Hasan Manto
Bio de Tarun J. Tejpal
Article présentant Tehelka et Tarun J. Tejpal sur le Monde 2
«L’Inde est un projet inachevé» interview de Libération
Critique du Figaro
Critique de l'Express
Titre : Histoire de mes assassins
Auteur : Tarun J. Tejpal
Traducteur : Annick le Goyat (de l'anglais Inde)
Éditeur : Buchet Chastel
Date de sortie : 03/09/09
591 pages - Broché
ISBN : 9782283022832
Prix public : 25€ (23.76€ à la librairie indeaparis.com)