Deuxième long métrage d'Anup Singh, Le Secret de Kanwar (Qissa en version originale) nous emmène dans le Pendjab en pleine partition, lorsqu'en 1947, sur un trait de crayon, la partie occidentale de l'Inde lui fut arrachée pour créer le Pakistan. La partition se fit au niveau de la région du Pendjab qui, soudainement coupée en deux, devint le terrain d'exodes déchirantes et sanglantes. Se croisant dans des conditions souvent effroyables, ces populations, majoritairement rurales, se partagèrent en fonction de leur confession à savoir Musulmans vers le Pakistan et Hindous et Sikhs vers l'Inde...
Cette époque fut le terreau pour nombre de drames épouvantabes qui hantent aujourd'hui la littérature et le cinéma Pakistanais et Indiens avec des auteurs tels que Manto (Toba Teck Singh) ou des cinéastes comme Anil Sharma (Gadar: Ek Prem Katha). C'est dans cette continuité que Le Secret de Kanwar s'inscrit. Fruit d'un expérience personnelle et d'histoires qu'il a reçues de ses aieux, Anup Singh s'est fait le héraut d'une histoire peu commune où un père désemparé de n'avoir que des filles, décide de faire croire à tous que la quatrième, qui nait alors en ces temps troublé, n'est autre qu'un garçon. La supercherie tourne à l'obsession pour ce père aveuglé par sa logique absurde. Bien évidemment tout cela se termine très mal, bien loin de ces happy ends téléphonés dont le cinéma populaire indien nous avait habitués jusque là. Mais la fin n'a que très peu d'importance dans cette histoire qui nous happe par la beauté des images et l'ambiance très particulière du Pendjab rural et ses personnages enturbannés et barbus si caractéristiques que les profanes confondent souvent les musulmans intégiristes. Cette histoire est justement l'occasion rêvée d'en savoir un peu plus sur cet état, grenier de l'Inde, où les campagnes pensent et vivent de manière anachronique, défendant, contre tout atteinte de la modernité, des valeurs patriarcales forcenées où le mâle est survalorisé au point que cet état affiche le triste record mondial du nombre d'infancitides de filles, comme l'a si bien décrit Bénédicte Manier dans son ouvrage Quand les femmes auront disparu.
Nous voilà donc avec un film dramatique à souhait, dans une ambiance pesante qui tire quelques fois en longueur mais avec un casting hors pair que l'on doit à la persévérance d'un réalisateur déterminé à surmonter tous les obstacles pour obtenir ce qu'il veut ! Le résultat est là : Irrfan Khan (The Lunchbox, Slumdog Millionaire) est impérial en sardar pur jus, dans l'un des rôles les plus dur et intense qu'il ait eu à jouer et qu'il avait, dans un premier temps, refusé. C'était sans compter sans l'obstination d'Anup Singh ! De la même manière, il a su convaincre l'actrice bengalie Tillotama Shome qu'il avait aperçue dans le rôle d'Alice dans Le Mariage des moussons (Mira Nair), de jouer le rôle de Kanwar malgré son ignorance totale du panjabi qu'elle a appris pour la circonstance ! Il a fallu aussi convaincre des investisseurs Indiens et Européen, France et Allemagne en tête, d'investir dans un film compliqué et si peu conventionnel mais le résultat est là : 1h30 intense avec une photo à la Jean-Pierre Jeunet (Un long dimanche de fiançailles) ou de Sanjay Leela Bensali (Devdas) et dont on sort secoué par l'histoire et songeur sur ce que peuvent être les existences à seulement 8500 km de chez nous. C'était le le but d'Anup Singh et il l'a atteint !
Anup Singh
Anup Singh est né en 1961 à Dar-Es-Salaam en Tanzanie. Il a grandi au sein d’une famille Sikh du Penjab. A l’âge de 14 ans, il quitte la Tanzanie avec ses parents et s’installe à Bombay où il vit pendant huit ans avant d’émigrer en Grande-Bretagne où il passe vingt-cinq ans. Durant cette période, il retourne en Inde pour étudier au Film and Television Institute of India. Singh réalise son premier long métrage en 2002, The Name of the River, hommage à son maître Ritwik Gathak (le film sera sélectionné dans plus de 30 festivals dans le monde). Il travaille actuellement sur son troisième film Mantra, le chant des scorpions, dont le rôle principal féminin sera tenu par Golshifteh Farahani (Syngué Sabour, pierre de patience) et dans lequel il retrouvera Irrfan Khan (l’acteur principal du Secret de Kanwar et de The Lunchbox). Il peaufine également un autre projet, Lasya – The Gentle Dance, dont le scénario a remporté le Prix CNC à Locarno et une récompense au Cinémart de Rotterdam.
La Partition de 1947
Partition : The Day India Burned (1h29m)