M. N. Roy était un indien peu ordinaire. Fondateur d'un parti communiste au Mexique, dirigeant de l'Internationale communiste dans les premières années de la Russie soviétique, militant antistalinien et antinazi dans l'Allemagne d'avant-guerre, politicien et philosophe athée dans l'Inde de l'indépendance, les histoires officielles de ces pays ont préféré en effacer la trace. Une histoire fascinante exhumée et reconstituée avec patience et minutie par Vladimir Léon dans le film "Le Brahmane du Komintern" qui sort le 24 octobre...
M. N. ROY : Éléments bibliographiques
M. N. Roy est né dans la région de Calcutta, fils de brahmane, la plus haute caste des Hindous, sous le nom de Narendranath Bhattacharya, probablement en 1887. Son engagement politique est précoce : dès 1905, il organise une manifestation contre la partition du Bengale par les Britanniques. Il devient par la suite une figure importante du nationalisme bengali. En 1915, on lui confie de négocier des armes de contrebande auprès des Allemands, trop heureux de soutenir tout mouvement anti-britannique aux Indes.
M. N. Roy traverse alors l’Asie pour intercepter un cargo chargé d’armes. Il ne le trouvera jamais et, en route vers l’Allemagne via le Pacifique, il débarque aux Etats-Unis. Il y prend contact avec des groupes indiens exilés, mais surtout y rencontre sa première femme Evelyn Trent, jeune étudiante radicale américaine. À son contact, il découvre la philosophie occidentale : Hegel, Marx…Les Américains arrêtent cet agent anti-britannique (qui a ici pris le nom de M. N. Roy). Libéré sous caution, il fuit avec Evelyn vers le Mexique insurgé voisin en 1917. Là, il s’engage dans la vie politique, rejoint le groupusculaire parti socialiste mexicain qu’il finit par transformer en parti communiste en 1919, sous l’influence de Mikhaïl Borodine, agent de l’Internationale communiste.
À l’entrée de la maison de M. N. Roy |
N. M. Roy, de la conscience |
À sa sortie de prison, en 1936, M. N. Roy rejoint l’aile gauche du Parti du Congrès indien. Mais il rompt avec celui-ci au moment de la Seconde Guerre Mondiale, ses positions ne pouvant s’accommoder du nationalisme du parti de Gandhi. M. N. Roy défendra en effet le soutien à l’effort de guerre britannique, considérant qu’aucune indépendance ne pourrait être viable en cas de victoire nazi-fasciste.
Cette position anti-nationaliste précipitera son échec politique. Aux élections générales de 1946, son Parti Démocratique Radical (Radical Democratic Party) n’obtiendra pas un seul élu, en dépit de l’ambition de son programme. Roy a en effet rédigé un projet de Constitution (Constitution of Free India) pour une démocratie participative autogérée et un programme de développement économique (People’s Plan), d’inspiration socialiste. Après cet échec politique, M. N. Roy dissoudra son parti et se consacrera à l’écriture théorique, développant sa philosophie de l’humanisme radical. Parmi ses grandes publications, dont les dernières seront posthumes : The Russian Revolution (1949), Reason, Romanticism and Revolution (1955), Crime and Karma (1957), Politics, Power and Parties (1960), Memoirs (1964), Men I Met (1968). Roy meurt dans sa petite maison blanche de Dehradun le 25 janvier 1954, oublié de tous.
Ouverture du 2e Congrès de l’Internationale Communiste, Saint-Pétersbourg, juillet 1920
L'équipe
Vladimir Léon (réalisateur)
"En 1998, sortait Loin du front, premier film de fiction que je co-réalisais avec Harold Manning. Par la suite, par le biais documentaire, j’ai voulu poursuivre ce récit des destins individuels pris dans les tourmentes de la grande Histoire. Avec mon frère Pierre, j’ai interrogé mon père sur sa trajectoire sinueuse de journaliste et de militant communiste. Cela a donné Nissim dit Max en 2003. Parallèlement, je m’attachais à une autre figure intrigante de l’histoire communiste, M. N. Roy, lui consacrant un portrait que je commençais en 2002 par un tournage au Mexique, pour ne l’achever qu’en 2005 à Stuttgart : le Brahmane du Komintern. Ce film, soutenu par Cati Couteau à l’Institut National de l’Audiovisuel, a fini par exister grâce à l’engagement personnel de l’équipe dans cette aventure."
1995 Atcha (avec Arnold Pasquier, documentaire, 52 minutes)
1998 Loin du front (avec Harold Manning, fiction, 63 minutes), Festival de Dunkerque 1996, Festival de Belfort 1997, Premiers Films en Ile de France 1997.
2003 Nissim dit Max (avec Pierre Léon, documentaire, 86 minutes), Festival de la revue Cinéma, Galeries Nationales du Jeu de Paume, 2003, Festival International du Documentaire de Marseille, 2004.
2006 Le Brahmane du Komintern FID Marseille 2006, Etats Généraux du Documentaire, Lussas 2006. Festival En Route Vers le Monde, La Roche-sur-Yon 2006. Film d’ouverture du Mois du Film Documentaire, Centre Pompidou, Paris, 2006. Festival Reflets du Cinéma, Laval 2007. Festval Documenta Madrid 2007. Doc’s Kingdom 2007, Serpa (Portugal)…
Vladimir Léon face à M. N. Roy, Archives du Komintern, Moscou, 2004
Cati Couteau (producteur)
"Cati avait déjà travaillé avec Arnold Pasquier. C’est lui qui me l’a présentée, alors que je commençais à écrire les premières lignes du Brahmane du Komintern. Elle a tout de suite montré son intérêt pour un tel sujet. Je savais à quel point l’histoire politique la passionnait : elle produisait à l’époque le S 21 de Rithy Panh, dont elle avait auparavant produit la Terre des Âmes errantes. Les diffuseurs n’ont pas partagé notre engouement pour l’histoire politique du “brahmane rouge”. Mais Cati a permis que l’Ina apporte son soutien à l’écriture et une aide technique à la réalisation et à la post-production du film. Cati Couteau est la productrice d’un autre projet au long cours auquel je travaille depuis quelques années déjà : l’adaptation dans les Etats-Unis contemporains de De la démocratie en Amérique d’Alexis de Tocqueville."
Sébastien Buchmann (image Russie)
"Sébastien est un compagnon de longue date. Il a éclairé mon premier film, Douaumont repris ! qui allait devenir l’épisode d’ouverture de Loin du front.
En 2003, je le retrouve pour la lumière de Nissim dit Max. Il alterne le film documentaire (récemment pour Frédéric Ramade, Joël Calmettes…) et film de fiction (pour Jean-Charles Fitoussi, Anne Benhaïem, Sandrine Rinaldi, Pascal Bodet, Pierre Léon…), travaillant toujours à une lumière sensible, très attentive au propos du film. Il a accepté de me suivre fin 2004 à Moscou et à Saint-Pétersbourg pour le volet russe du Brahmane du Komintern, donnant aux ciels de cette ville un lyrisme à la Ivan Pyriev."
Pierre Léon (son Russie)
"Avec Pierre nous avons souvent travaillé ensemble. J’ai joué dans la plupart de ses films, y ai occupé tous les postes techniques (assistant, cadreur, ingénieur du son, monteur), et participé à cette aventure de cinéma que fut Spy Films, groupe de cinéma underground créé par Pierre avec Mathieu Riboulet. En 2003, nous nous retrouvions avec le désir de filmer notre père, ce qui donna Nissim dit Max. L’année suivante, je lui demandais de venir écouter ce qu’en Russie on pourrait me dire sur M. N. Roy. Pierre s’est ainsi chargé de la prise de son de la partie moscovite du film.
En marge de notre tournage, il a réalisé Octobre, nous associant, Sébastien et moi, comme techniciens et intervenants-acteurs, dans ce film improvisé et clandestin, sorti en octobre 2006."
Arnold Pasquier (image et son, Inde et Allemagne)
"Je connais Arnold depuis les cours de cinéma de la faculté. Depuis, il a poursuivi son activité de plasticien et de réalisateur (dernier film sorti au printemps 2006, Celui qui aime a raison). J’ai eu envie de l’associer à l’épisode indien du Brahmane du Komintern parce que je savais qu’il comprendrait l’attention qu’il faudrait là porter, au-delà des mots, aux corps, aux couleurs, aux lumières, aux silhouettes, aux sons. Aussi, parce que dix ans plus tôt nous avions réalisé ensemble un premier film en Inde, Atcha, qui avait correspondu à ma découverte bouleversée de ce grand pays.
En 2005, nous achevions le film avec les plans de Stuttgart, où Arnold parvenait à insuffler encore un peu d’Inde en plein Bade-Wurtemberg.
Comme Pierre à Moscou, Arnold profita de la caméra et des micros de mon Brahmane en Inde pour un très beau film parallèle : S’y mettre à l’infini. (Prix du Pavillon, Festival Côté Court, Pantin 2005)"
Les interlocuteurs
À Mexico
"Adolfo Gilly, historien, professeur des sciences politiques et ancien activiste gauchiste, auteur, notamment, de la Révolution mexicaine, publié en France en 1995, sera mon premier contact, par mail, à Mexico et qui me fera espérer qu’il y a encore une parole qui pourrait exister au Mexique sur M. N. Roy. Ainsi, c’est Adolfo qui m’a mis en contact avec Paco Ignacio Taibo II, historien et auteur de polars politiques à succès dont, récemment, Des morts qui dérangent, co-écrit avec le sous-commandant Marcos. PIT II qui, il y a une vingtaine d’années, s’était intéressé à M. N. Roy dans un ouvrage de référence sur le communisme au Mexique, Bolchevikis. Grâce à mon ami de Mexico, Ignacio Saldivar, j’ai aussi rencontré d’authentiques communistes héritiers du Parti de Roy et ayant rejoint aujourd’hui la large coalition de gauche du Parti de la Révolution Démocratique (PRD), comme Gerardo Unzueta et Arnoldo Martinez Verdugo. Ce dernier, qui fut secrétaire général du Parti Communiste du Mexique, est l’auteur d’une célèbre Histoire du communisme au Mexique. Enfin, Adolfo Gilly m’indiqua une nouvelle piste, Daniela Spenser, historienne tchèque vivant à Mexico, auteur de The Impossible Triangle sur les relations Mexique, URSS, USA dans les années 20, et qui apporte un avis un peu discordant sur le rôle de M. N. Roy au Mexique."
En Russie
"Dans les bourrasques de l’automne moscovite, retrouver la trace de M. N. Roy s’est avéré un peu hasardeux. Je tire un premier fil bien maigre : l’historien du stalinisme et du pouvoir soviétique, Roy Medvedev qui m’accueille dans sa datcha des environs de Moscou. Enfant de communistes fervents, il se prénomme ainsi en l’honneur de M. N. Roy. Et c’est de façon inattendue qu’à la suite de cette rencontre je me retrouve avec Roy Medvedev à la Douma, le Parlement russe, à une table ronde que le leader nationaliste Vladimir Jirinovski, consacre à la destitution de Nikita Khrouchtchev, quarante ans auparavant. L’histoire se réécrit comme elle peut… Et les archives du Komintern, où j’interviewe une employée qui m’en décrit le fonctionnement, semblent un grand palais abandonné, dont la survie est menacée par l’absence de subventions. C’est à Saint-Pétersbourg que je retrouverai le fil de la vie de M. N. Roy grâce à Lazare et Victor Heifitz, historiens spécialistes du Komintern en Amérique latine. Ils me reçoivent dans leur petit appartement encombré de livres et de documents. C’est de cet inattendu duo académique (et un peu triste) que je tiendrai les informations les plus précises sur le rôle de Roy au sein de l’Internationale communiste."
À Stuttgart
"Alors que je commençais déjà à monter le film, Sibnarayan Ray, essayiste, biographe et ami de Roy, rencontré à Calcutta, m’a mis sur la piste de Kris Manjapra, historien de Harvard, étudiant les révolutionnaires indiens dans le Berlin des années 20. C’est lui qui allait m’offrir une forme d’incarnation de cet esprit berlinois qui marquera tant M. N. Roy, notamment en me faisant rencontrer Theodor Bergmann, l’un des derniers témoins vivants de la KPO, l’opposition communiste à Staline dans les années 20-30. Episode suspendu, entre Russie et Inde, où je saisis les origines de l’antifascisme déterminé et absolu de M. N. Roy, ainsi que l’absolue originalité de ses vues sociales et politiques sur la société indienne."
En Inde
"Où débute et s’achève l’épopée de Manabendra Nath Roy… J’y retrouve Hari Vasudevan, historien de Calcutta et qui est à l’origine de toute cette aventure : c’est lui qui, quelques années auparavant, m’avait montré une célèbre photo où au milieu de Lénine, Gorki, Boukharine, Radek, Zinoviev, surgissait la haute stature d’un Indien : M. N. Roy. Photo qui m’intrigua suffisamment pour que je revienne en Inde l’interroger davantage sur le personnage. Hari m’aiguille vers un autre historien, T. R. Sareen, auteur d’une étude sur les révolutionnaires indiens à l’étranger. Mais je sens qu’il faut que j’aille sur les lieux principaux de l’activité de M. N. Roy. D’abord la ville de Dehradun, au Nord du pays, où il passa ses dernières années de détention et où il habita jusqu’à la fin de sa vie. Dans sa maison, je rencontre un vieil homme, S. N. Puri, qui maintient le lieu en sanctuaire poussiéreux. Il fut un proche de Roy à la fin des années 30 et, au gré de notre discussion, son enthousiasme royiste paraît intact. Ensuite, Calcutta et le Bengale, dont Roy est originaire. Dans la frénésie urbaine, je retrouve Jharna Bose, chez qui j’avais fait la connaissance de Hari Vasudevan. Elle me sera un guide précieux, m’accompagnant chez Samaren Roy, ami de M. N. Roy et devenu l’un de ses plus prolifiques biographes, puis chez Purobi Roy, historienne des relations soviéto-indiennes qui nous offre du thé et des confitures, comme à la datcha. Nous allons ensuite chez Sibnarayan Ray, ami de Roy, son biographe et l’éditeur attentif de ses œuvres complètes ; un intellectuel bengali, comme on les imagine après un film de Satyajit Ray. Pour finir, je retourne à Delhi, où je rencontre un dirigeant du Parti Radical Humaniste et qui cosigna avec M. N. Roy le People’s Plan, plan de développement économique socialisant élaboré à la veille de l’indépendance : V. M. Tarkunde. Pour lui, aucun doute : l’humanisme royiste sera la philosophie du XXIe siècle…"
Projections
Sortie Nationale le 24 octobre
A Paris à l'Espace Saint-Michel et à l'Entrepôt
Espace Saint-Michel
24/10 à 19h20 Projection-Débat
7 place Saint-Michel - 75005 Paris
M° Saint-Michel
Site Internet
L'Entrepôt
7 rue francis de Pressensé - 75014 Paris
M° Pernety
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Distribution
Capricci Films
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